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Vernissage Edition 2024

Ce samedi 14 septembre 2024, c’était le vernissage des nouvelles œuvres de La Balade de Séprais. Les participants ont passé un très bon moment en compagnie de certains des artistes de cette 31e édition comme les italiens Paolo Vivian et Daniel Ruggiero et le franco-suisse Adrien Jutard, également directeur artistique de La Balade de Séprais. Il a d’ailleurs laissé une partie de la présentation des œuvres au vice-président Julien Minne.

Adrien Jutard

« Après un printemps pluvieux, un été d’abord humide, puis chaud, je me permets de vous saluer et de vous remercier pour votre présence en ce début de saison de la rosée, de la brume, des feuilles jaunes, rouges et ocres, et des champignons.
C’est agréable à l’automne, d’aller se promener par un jour doux, un peu ensoleillé, dans la nature. On peut y aller, accompagné, ou seul.
Parfois dans une prairie, à l’orée d’un bois, dans une clairière ou en forêt, les promeneurs ont la chance de se retrouver, surpris, dans un espace soudain rempli de jolis champignons, aux formes et aux couleurs surprenantes.
Appréciant un minimum les espèces, ceux-ci peuvent même se risquer à une cueillette qui, un soir, leur permettra de partager le convivial souper au goût des saveurs de l’automne.
La biologie nous explique le phénomène fascinant du champignon en décrivant la présence souterraine, dans l’humus, du mycélium végétatif qui peut générer, si un ensemble de conditions aléatoires sont réunis, l’émergence du mycélium reproducteur qui lui, évoluera dans l’air, donnant sa forme au champignon…
Lisant cette description savante, je ne peux m’empêcher de penser à la Balade de Séprais et plus généralement au monde de l’art et de la création et je vous prie de tolérer un peu ma métaphore champignonesque pour inaugurer cette édition 2024.
Le mycélium artistique végétatif existe partout, dans chaque société et je pense même, qu’il est aussi présent dans chaque individu. Le mycélium artistique reproducteur, quant à lui, est conditionné par un ensemble de facteurs nécessaires et favorables, ayant lieu, à certains endroits, à certains moments.
Je ne sais pas si Séprais est un bon coin à champignons, mais le mycélium artistique y est bien présent, sous sa forme reproductrice, qui fait que tous les ans à la même heure. vous pouvez être quasiment sûr d’y trouver des nouveautés. Il y est aussi présent sous sa forme végétative, dans l’humus, et prêt à donner encore de très belles récoltes comme autant de futures éditions de notre Balade.
Depuis 14 ans que je suis dans ce comité, j’imagine par exemple tout le mycélium artistique végétatif présent dans les sous-sols des terrains de la Bourgeoisie de Séprais/Boecourt, et qui n’attend qu’une petite pichenette pour pouvoir libérer tout son potentiel de mycélium artistique reproducteur… Alors restons patient et espérons …

Vous aurez compris que c’est l’œuvre du Soleurois Norbert Eggenschwiler qui a inspiré mon introduction. Avec quasiment 3 mètres de hauteur, son œuvre est une pièce de marbre de Göflan, taillée en toute élégance et polie avec la tendresse amoureuse du sculpteur qui finit son ouvrage, caressant cette pierre ultra dure qui lui a donné tant de peine.
Le titre savant de cette sculpture : « Mycena Malapaluda » fait référence à un champignon de la famille des Mycena, du grec mykes, c’est-à-dire champignon, et inus, suffixe, qui veut dire petit.
Vous comprendrez que l’artiste s’est joué de l’échelle et de la matérialité, transfigurant le minuscule et fragile champignon en un géant de marbre qui luit à la lisière, brille dans le paysage et qui fascinera encore un bon moment, de près comme de loin.

Dans le registre vertical, avec des empilements, l’italien Paolo Vivian nous propose trois sculptures au titre « Colonna della Memoria ». Celles-ci évoquent la mémoire, celles des années de sa vie comme autant de cubes en bois empilés, aux couleurs vives et variés. Les trois colonnes symbolisent, avec l’élégance du panache coloré, trois phases de sa vie. Les cubes peuvent tourner sur leur axe.
Est-ce un boulier ? Est-ce un jeu ? S’agit-il d’un décompte ou d’un classement ? Toujours est-il que toutes chatoyantes qu’elles soient, ces formes abstraites empilées qui suggèrent la mémoire suggèrent aussi le secret, comme autant de cassettes indéchiffrables, personnelles et intimes…

Après l’empilement passons à la juxtaposition, et de la verticalité à l’horizontalité. L’artiste Daniel Ruggiero, né italien mais dans le canton de Vaud, a décidé de présenter, à Séprais, sa « table de ping-pong à facette » sur laquelle des centaines de triangles en bois dévoilent leurs volumes sur une table de ping-pong. L’ensemble est recouvert de peinture noire et cette unité lui donne un caractère de maquette. L’œuvre qui domine la vallée peut faire penser au plan d’aménagement d’un urbaniste fou. Ce bas-relief recouvert d’angles, posé sur un piédestal normalement destiné à un jeu qui nécessite une surface absolument plane, gratte l’œil, puis l’esprit. Comme si l’artiste nous proposait à la fois de nous plonger dans l’espace immense qu’ouvre cette maquette, tout en rendant le jeu de ping-pong laborieux, impossible même, comme s’il fallait se sentir projeté dans un univers, tout en étant retenu par une sorte de fil à la patte…

Comme il l’avait prévu, à un rythme de 10 ans d’intervalle, l’artiste Charles Kalt est revenu s’occuper de son installation datant de 2013 et que vous connaissez déjà, en la parant de nouveau autocollants, aux couleurs vives et brillantes qui forment un nouveau bouquet chromatique. Du coup il a fait évoluer son titre, l’original était « Oh ! » et maintenant l’œuvre s’appelle « Oh Ho ! », si vous voulez en savoir plus, vous pouvez vous rendre sur le canal YouTube de La Balade, l’artiste s’explique et la vidéo vaut vraiment le visionnage !

Enfin, pour vous parler de la dernière sculpture de cette édition qui est de mon fait et que le comité de la Balade a voulu que j’installe à l’endroit de ma sculpture de 2010 disparu au printemps, c’est Julien Minne, vice-président qui prendra la parole, car vous comprendrez que pour le discours élogieux du vernissage, je suis en plein conflit d’intérêt.
Avant de lui passer la parole et pour conclure, j’adresse un grand merci aux artistes qui cette année encore ont donné de leur temps et de leur génie au profit du mycélium reproducteur de la Balade.
Et comme tous les très bons coins à champignons, sachez qu’ils ne sont jamais aussi fragiles que quand tout le monde commence à les connaitre. L’écosystème, même artistique, peut pâtir rapidement, voir dangereusement de comportements irrespectueux, de piétinements ou d’escalade diverses : regardez seulement l’état actuel du sous-marin turc, qui s’est aplati sous le poids d’un groupe entier d’élèves… Evènement que je ne commenterais pas, pas plus que celui du voyant extralucide ayant trouvé à propos de parsemer les sculptures de quelques 200 cartes de visites publicitaires disposées méthodiquement sur les œuvres à des fins commerciales…
Ces gestes inopportuns sont le lot de l’art dans l’espace public, ouvert, accessible et non surveillé, mais ils font courir le risque de renfrogner le mycélium artistique et de le cantonner à son rôle végétatif, ce qui n’est pas souhaitable, surtout un jour d’automne, en Balade…
Merci de m’avoir écouté, je passe la parole à Julien ».

Julien Minne

« L’art se doit d’être en phase avec son temps. Pour les sculptures de Jutard, la corrélation entre l’emplacement, au front de la décharge, et l’actualité des activités de cette dernière sont particulièrement intéressantes.
Si « cycling », œuvre hyper réaliste, renvoyait le spectateur aux questionnements de notre société consumériste aux prises avec l’impératif besoin de gérer, et de cacher, ses déchets ménagers,    la nouvelle œuvre que nous vernissons ce jour est, elle, beaucoup plus onirique avec une élévation très aérienne.
C’est d’ailleurs ce côté aérien qui entre en résonnance avec les récentes polémiques liées au dégagement de poussière de la décharge.
L’art est en phase avec son temps et la perception des œuvres évolue au gré de l’actualité, des emplacements ou du ressenti du spectateur.
De fortes rafales de vent ayant décalotté l’œuvre précédente en supprimant le camouflage virginal qui les protégeaient, les poubelles qui en constituaient la base furent brutalement placées à la vue de tous.
Ainsi exposées, sans référence au blanc manteau posé par-dessus pour les cacher, les poubelles reprenaient leur affectations premières et l’œuvre n’avait plus de sens. Pour certains ils étaient temps de les déplacer de quelques mètres en arrière.
Même emplacement, même artiste, mais une nouvelle œuvre différente, comme une évolution, une maturation, d’un réalisme cru avec l’œuvre précédente, on s’élève vers le rêve avec les suggestions et propositions de la nouvelle.
Le blanc virginal est toujours présent mais il est limité par l’utilisation d’un rouge vermillon puissant. Certains iconoclastes penseront peut-être que l’artiste a manqué de peinture pour terminer avec la bienfacture voulue…
Laissons dire, laissons penser…Cette couleur vive, étalée avec force sur le support, rajoute un supplément de vigueur à une œuvre que l’espace seul suffisait déjà à magnifier.
Si nommer les choses est fondamental pour la cohésion et la compréhension mutuelles de nos sociétés, certains espaces de liberté peuvent cependant s’en affranchir. C’est, par exemple, le cas de la dénomination des œuvres dont le concepteur peut décider du titre ou décider… de ne pas décider, et ainsi de laisser le champ libre à l’imagination du spectateur. En effet, face à un titre « sans titre », le réflexe pavlovien est évidemment d’immédiatement rechercher un patronyme… Un peu comme l’envie irrépressible de presser sur un bouton sur lequel est écrit « ne pas toucher »
Pour ma part, le titre « Rolls Royce » s’est spontanément imposé. Non pas pour une éventuelle ressemblance de l’œuvre avec une voiture de luxe mais bien pour une filiation avec le chef d’œuvre antique de la victoire de Samothrace, sublime statue d’une déesse ailée dont la reproduction stylisée sur le capot des Rolls est iconique.
Tout comme la statue antique, l’œuvre de Jutard est onirique, aérienne, légère mais également puissante et solidement ancrée sur terre. Elle revient aux fondamentaux de la sculpture en proposant une vibration spatiale, une interprétation du volume ».