Un moment convivial le vernissage de cette édition 2022 de La Balade de Séprais ! Merci aux artistes et bonne visite ! Rappelez-vous, l’exposition est à voir tous les jours et par tous les temps…
Discours d’Adrien Jutard, directeur artistique de La Balade de Séprais, lors du vernissage.
« Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs
Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs ! »
Quand Arthur Rimbaud écrit ce poème avec la fulgurance qu’on lui connait, on rapporte qu’il est en rage contre un bibliothécaire qui ne l’autorise pas à emprunter certains de ses livres qui lui seraient apparemment inappropriés. Il dresse alors un portrait à charge de ce personnage, et nomme ce poème « Les Assis » élargissant la caricature à tous ceux qui siègent trop bien, sûre d’eux-mêmes et de leur pouvoir, menaçants et immobiles.
« Sesshaft » c’est le titre de l’œuvre des artistes bâlois Suter & Bult composée de 3 chaises hissées par des mâts à plus de 16 mètres de hauteur. Ce titre signifie en français « sédentaire ». Sédentaire, c’est tout ce qui est ancré, installé, sûr, bien maitrisé, j’oserai même dire, administré. C’est nous, notre vieux monde, bien assis sur ces certitudes qui est visé par ce titre, et que ce titre met en abîme. Nous voici, sous les sculptures, à les observer tanguer au gré des bourrasques, à cette hauteur vertigineuse, comme si, ce qui normalement donne de « l’Assise », se mettait subrepticement à engendrer un sentiment de doute. Comment alors ne pas vaciller, se sentir, au-delà de la première impression poétique, frappé par la présence de l’abîme et la possibilité de la chute ? On s’imagine, par exemple, être là-haut et se lever de sa chaise, on se rappelle l’expression « être le cul entre deux chaises » c’est vrai qu’à cette hauteur-là, cela devient vraiment inconfortable et semble virer au tragique. Je pense à nouveau au poème de Rimbaud qui écrit plus loin: « Oh, ne les faites pas lever, c’est le naufrage». Voilà, ces chaises sont hissées comme des gratte-ciels, avec une volonté babélienne, mais elles contiennent incontestablement l’idée du gouffre. Cette œuvre nous rappelle à notre désir humain de vouloir tout contrôler en même temps qu’elle nous ramène indéniablement à nos fragilités.
Entre ciel et terre mais dans un tout autre registre formel nous avons la sculpture en bronze de Robert Indermaur, artiste des Grisons. Cette sculpture intitulée « Des racines et des ailes » figure avec densité et franchise le drame de l’humain à la fois cloué au sol, esclave de sa pesanteur et de son histoire, et désireux de s’élever, de voler vers les cimes, de tendre vers l’esprit. Antagonisme de cette matière qui nous retient, nous empêche de conquérir le ciel, mais dans laquelle on jouit des contingences du corps, cette figure en tension comme au milieu d’un drame existentiel, nous regarde de son visage si réellement humain que ses yeux semblent exprimer la vision du damné.
La troisième œuvre de cette édition 2022 s’intitule « Momie Totémique », elle a été réalisée par l’artiste Logovarda qui habite La Ferrière. Elle est composée d’une colonne ou d’un tronc, recouverte de bandelettes, momie érigée à plus de 3 mètres de hauteur, sur laquelle est posée une tête, qui comme la tête de Janus, a un visage sur la face, et un autre dans le dos. Métaphore du cerveau humain selon l’artiste, cette œuvre à la lecture immédiate et puissante, qui oscille comme souvent chez Logovarda entre équilibre et violence, offre une ouverture saisissante sur un abîme de réflexion. Double vision, simultané et inversé qui pose clairement les problèmes de la perception et de l’ambivalence de l’esprit humain. Cette momie totémique interroge nos sens, et surtout nos mémoires. Espérons qu’elle conjure ainsi certains tabous !
Des visions brutes, existentielles, des visions vertigineuses et poétiques. Que serait cette édition 2022 sans une note d’humour ou un geste décalé ? C’est ce que le neuchâtelois Denis Roueche nous propose en installant sur le parcours une sculpture conçue à l’origine et montrée lors de l’exposition « Bex Arts ». Cette sculpture s’intitule « 50G » et figure une espèce d’énorme antenne de télévision des années 80 aux proportions démesurées. C’est une anticipation, vu que nous n’en sommes qu’aux antennes 5G et que ceci soulève déjà de bien houleux débats. C’est aussi un clin d’oeil au passé de la technologie de transmission des ondes radio-télévisuelles. L’ensemble forme un gag de 8 mètres de haut, magnifique manifeste en sorte de « Retour vers le futur ».
Voici à gros traits l’esquisse de ce que vous réserve l’Edition 2022 de la Balade de Séprais. Edition verticale, figurative, et incontestablement monumentale qui nous permet de prendre de la hauteur, à la veille des 30 ans du parcours que nous fêterons l’an prochain. Si cette édition est spectaculaire elle exprime aussi une sorte de gravité et d’étranges doutes. Elle est ainsi en parfaite cohérence avec le contexte d’un monde qui, en 2022, se retrouve au pied du mur de ses propres principes.
Cette édition n’aurait pu voir le jour sans les artistes que je tiens en premier lieu à remercier ici pour tout ce qu’ils nous offrent. Je remercie aussi les Conteuses et Conteurs du Jura qui nous ont donné ce magnifique et enchanteur début d’après-midi.
La loterie Romande, la commune de Séprais-Boécourt ainsi que la République et Canton du Jura ont contribué au succès de cette édition et nous les remercions. Sans l’entreprise Vernier SA et les voyers de la commune, aucune de ces œuvres n’aurait pu être érigée, là aussi, un grand merci ! Merci aussi aux donateurs et mécènes ! Et enfin merci au comité de la Balade qui porte avec courage et bénévolement tous les nouveaux projets, si pharaoniques soient-ils !