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Vernissage édition 2023

La Balade de Séprais a fêté ce samedi 23 septembre 2023 son trentième anniversaire. Une belle fête en bonne compagnie et en présence de plusieurs des artistes qui ont participé à l’édition 2023. Un vernissage marqué par le discours d’Adrien Jutard, directeur artistique de La Balade de Séprais.

« Tout d’abord je tiens à vous saluer et à vous souhaiter la bienvenue. Trente ans ce n’est pas rien ! A cette occasion, chère Liuba, La Balade te dis „merci Maman !“ pour lui avoir donné la vie. Trente années, 30 éditions, plus de 80 projets, pléthores de cadeaux offerts à la vision de toutes et tous gratuitement.

Que serait la culture sans le don ? Que serait la recherche sans le don ?

Aucun chercheur ni aucun artiste ne peut garantir que les moyens qu’il investit permettront une découverte ou un chef d’oeuvre, il ne peut non plus garantir qu’il produira un quelconque „retour sur investissement“. L’artiste qui va travailler, parfois le matin, ne va pas gagner sa vie. Il va la dépenser, il va utiliser de son matériel et de son temps qu’il va donner à son ouvrage. Parfois cet artiste rencontre un mécène ou une institution qui va elle aussi, lui faire un don. Cette dépense „à fonds perdus“ est double et va dans les deux sens. C’est ainsi et seulement ainsi que la culture peut avoir lieu.

La science économique essaie de comprendre ce phénomène : s’agit-il de produits ou de services ? À quels besoins répond cette offre ? Qui formule la demande ? Et enfin, comment garantir, dans ce domaine aussi, le retour sur investissement ? La science économique, malheureusement, comprend mal la culture. Cependant le temps fait son travail : les beaux enfants de l’art et de la recherche tirent de leurs seuls bras les progrès de la société et ce depuis au moins le début de l’époque moderne, qui commence en histoire à la fin du XVe siècle, à peu près au moment où Christophe Colomb lance son expédition elle aussi „à fonds perdus“.

Quand l’économie nous dit : augmentez les recettes, réduisez les dépenses. C’est simple et ça marche, alors on la croit. Deuxième étape, elle nous dit : rationaliser les besoins humains. L’homme doit manger, avoir un habitat et se reproduire, le plus confortablement possible. Enfin quand la deuxième étape est franchie, vient la troisième : l’humain comblé qui vit dans le confort est insatisfait. Que fait l’économie ? Elle sort de sa valise magique tout un tas de solutions comme le divertissement de masse. Et si cela ne suffit pas il y a aussi le racisme et la xénophobie et enfin il y a la guerre qui peut encore être rationalisée vers des solutions plus ciblées que sont les massacres et autres génocides. L’économie nous balade ainsi de croissance, en crises, en catastrophes et puis recommence son cycle.

L’économie est insatisfaisante. Elle a un cycle court, demande des bilans chaque année, calcule ses plans sur 5 à 10 ans, hypothèque sur 15 ans maximum. Si elle prenait la décennie ou le siècle ou le millénaire comme étalon temporel, la culture, la recherche y figureraient en première position pour leur rentabilité. Mais qui ne voudrait percevoir ses dividendes qu’une seule fois par siècle ? Alors, hélas, l’esprit d’épicier emporte toujours la majorité…

Vous ici présent, ce soir, vous êtes plus sensible à l’esprit du don qu’à l’esprit de l’ardoise, je l’espère, et vous constatez avec nous le résultat d’un exercice de 3 décennies, expérience culturelle vivante, économiquement basée sur le don.

Il a fallu 30 ans pour que nous accueillons un artiste italien. Magnifique culture italienne faite de l’esprit méditerranéen de l’échange. L’art byzantin qui donne à l’art gothique, qui redonne à l’art byzantin: dons réciproques qui accouchent finalement de la Renaissance, à Florence, chez les nouveaux riches dépensant sans compter pour l’art. Notre premier italien c’est Fillipo La Vaccara. Né en Sicile, il vit et travaille dans la région de Milan, il offre à la Balade l’oeuvre intitulée „deux têtes“. Un visage ouvert, une expression subtile et intemporelle, comme une présence, une figure lumineuse, rehaussée d’une coiffe bleu céruléen. A côté une seconde tête, elle aussi de grande taille, mais au contraire de l’impassibilité de la première, cette seconde tête à deux mains posées devant ses yeux comme voulant cacher son regard, mais regardant de plus belle aux travers les barreaux angoissants que forment ses doigts qui expriment la volonté de se voiler le regard tout en montrant l’impossibilité de ne pas voir.

Dès sa première année, La Balade de Séprais, de mère bulgare, a donné au Jura ce que la Bulgarie avait de meilleur en termes de sculpture. Chapkanov avec son taureau avait marqué le territoire, il est revenu 20 ans plus tard avec une vache, et voici que ce couple a donné naissance à une ribambelle de petits moutons, preuve que l’art a encore quelques longueurs d’avance sur la génétique. Liuba est allé rencontrer les jeunes artistes bulgares Siana Damyanova et Mark Boychev. Elle les a reconnus virtuoses. Ils sont venus à Séprais cet été, ne sont malheureusement pas là ce soir, mais ils nous laissent „le troupeau“, quatre magnifiques moutons issus de la plus belle facture du bestiaire : l’attitude, le mouvement, le dialogue entre ces figures s’adresse à la finesse de notre regard. On en oublierait presque qu’ils sont composée de grossières ferrailles de récupération, mi-peintes, mi-rouillées. Mais les lignes y sont, les volumes aussi, les déchets sont transcendés, le matériel ressuscite à travers cette métamorphose animalière.

Dans l’histoire de l’art fabriqué avec les déchets de la société industrielles, il y a le fer soudé et aussi le fer soudé dans sa forme cinétique, destiné à être mis en mouvement et qui est souvent en référence direct avec l’univers visuel des machines. Il nous fallait bien un artiste suisse à la précision toute genevoise d’un horloger. Andreas Kressig nous a offert „ALGO“, titre tiré de la première partie du mot algorithme, Kressig a assemblé sur la base d’un châssis de karting un ensemble de déchets métalliques issus de la production industrielle la plus contemporaine : des morceaux d’ordinateurs, des plaques électroniques, etc… bref, l’esthétique „récup“ a pris un sacré coup de jeune avec tout cet aluminium Macintosh. Et du coup nous voilà bluffés, l’oeuvre roulante est provisoirement garée en bas du parcours devant la ferme, attendant là entre de vielles machines agricoles, elles aussi en stationnement. Clin d’oeil au Jura que l’artiste perçoit à la fois agricole et versé vers les industries de pointes, l’engin de Kressig figure la machine contemporaine :  fascinante et inquiétante de sa potentielle capacité à se mouvoir de son propre gré…

Valeria Caflish qui vient de Fribourg a grandi en Sicile. Entre la culture suisse de ses parents et celles des autochtones elle a appris très jeune à se balancer entre ces différentes identités, langues, cultures et confessions. Elle a su profiter de ces échanges qui s’enrichissent eux aussi de dons réciproques. En visitant Séprais, cette citadine a senti ici la force brute de la nature. Les nombreuses sculptures monumentales érigés sur le parcours lui sont apparus comme autant d’affirmations plutôt masculine. Alors tout simplement elle s’est posé la question : que peut-elle donner à cet endroit qui n’y soit pas encore et qui lui apporterait un contrebalancement enrichissant, féminin ? Et elle a créé une balançoire rehaussée d’un petit nuage bleu que le visiteur est invité a utiliser. Esthétique relationnelle ludique, petit bijou de balançoire en dentelle de champignons, de bonbons, de doigts et d’ongles manucurés, Valeria Caflish nous invite avec son oeuvre intitulée „Swing“ à résoudre en toute légèreté le tiraillement de nos dualités et à jouir devant un paysage aux perspectives lointaines, des mouvements voluptueux d’un va et vient aérien.

Voilà pour l’édition 2023 ciselée avec précision, bijoux de plus qui couronne ces 30 ans de dépenses réciproques et mutuelles mais toutes à fonds perdus et dont le résultat nous montre, comme le disait l’artiste Robert Filliou que „l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art“. En signe de réconciliation et après avoir un peu maltraité les milieux économiques dans mon introduction, je finis cette allocution par une page de publicité : un ouvrage complet sur la Balade de Séprais avec 250 pages et une bonne centaine de reproductions en couleur sera imprimé dans le Jura et accessible à la vente juste avant les fêtes. Vous pourrez le précommander dès fin novembre, pour le lire et surtout pour l’offrir !

Merci ! »